GIEC : Le cinquième rapport d’évaluation RE5 dresse un constat alarmant sur le Climat
Prof. Noureddine Yassaa, Directeur du CDER, membre de la délégation algérienne dans les négociations internationales sur les changements climatiques dans le cadre de la Convention UNFCC
Les réunions de la 40ème session des Organes subsidiaires, Organe Subsidiaire de mise en œuvre (SBI40) et l’Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique (SBSTA40) et la session 2.5 de la Plateforme de Durban pour une action renforcée (ADP 2.5) dans le cade de la Convention des Nations Unies sur les changements climatiques (UNFCCC) qui se tiennent à Bonn, du 4 au 15 juin, coïncident avec la publication du cinquième rapport d’évaluation (RE5) du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC), avec des conclusions plus alarmantes que le RE4 du 2007. Ce rapport est le produit d’une synthèse de plus de 20 000 études scientifiques menées dans leur quasi-totalité par des scientifiques des pays développés dotés des grands laboratoires et instituts de recherche.
Le RE5 du GEIC est la pierre angulaire et la base scientifique de référence sur laquelle s’appuient les négociations internationales sur le climat, qui s’annoncent déjà très difficiles et qui arrive à une phase critique ; marquée notamment par la négociation d’un nouveau régime climatique contraignant et applicable à toutes les Parties pour la période pré 2020.
Des sessions de la troisième réunion de Dialogue d’Experts Structuré (SED3, Structured Expert Dialogue on the 2013-2015 review) regroupant les scientifiques et les politiciens pour débattre des différentes questions examinées dans les rapports des trois groupes de travail du GEIC sont programmées le long de la conférence de l’UNFCCC. Des lacunes, des insuffisances et des défis ont été relevés à la fois par les experts scientifiques et par les négociateurs des Parties. La disparité géographique de la disponibilité des études, des données et des évidences pour l’évaluation des impacts du changement climatique est le point le plus soulevé par le groupe africain. A ce titre, la distribution inégale des publications, à cause des moyens scientifique et d’expertise dans le domaine des changements climatiques, reste un défi à relever pour assurer une évaluation exhaustive et équilibrée.
Le nouveau rapport d’évaluation apporte de nouveaux sur la base de nombreuses analyses scientifiques indépendantes d’observation du système climatique, d’archives paléoclimatiques, d’études théoriques jusqu’aux simulations climatiques pour modéliser le climat futur. La finalité de ce rapport est de délivrer aux décideurs et au grand public un état des connaissances consensuel sur le changement climatique. Les observations du système climatique s’appuient sur des mesures directes, sur la télédétection à partir de satellites ou via d’autres outils.
Le RE5 se trouve plus certain que le précédent. Il indique, qu’avec une probabilité supérieure à 95 % "extrêmement probable, plus de 95% de chances", l’accumulation des gaz à effet de serre (GES) suite aux activités humaines sont à l’origine de l’élévation de la température terrestre relevée depuis le milieu du XXe siècle. Cette probabilité était évaluée à 90 % dans le quatrième rapport de 2007 (très probable contre probable en 2001). Pour le GEIC, "Il est extrêmement probable que l’influence de l’homme a été la cause principale du réchauffement observé depuis la moitié du XXe siècle. Les preuves s’en sont multipliées grâce à l’amélioration et à la prolifération des observations, à une meilleure compréhension des réactions du système climatique et à l’amélioration des modèles du climat. Le réchauffement du système climatique est sans équivoque et, depuis 1950, on observe dans ce système de nombreux changements sans précédent à une échelle temporelle allant de quelques décennies à plusieurs millénaires."
Ce nouveau rapport se caractérise par de nouveaux scénarios pour les projections climatiques. Parmi les quatre scénarios, RCP2.6, RCP4.5, RCP6.0 et RCP8.5, le scénario RCP 2.6, qui implique de fortes réductions d’émissions de GES par la communauté internationale, est une nouveauté de ce rapport. Le RCP8.5 est le plus pessimiste, mais c’est un scénario probable car il correspond à la prolongation des émissions actuelles. Les deux autres scénarios se placent entre les deux extrémités ; optimisme et pessimisme. Selon ces quatre scénarios, les modèles climatiques prévoient une élévation de la température comprise entre 0,3 °C et 4,8 °C pour la période 2081-2100, par rapport à la moyenne de 1986-2005. La forte incertitude dépend en premier lieu des quantités de gaz à effet de serre qui seront émises dans l’atmosphère ces prochaines décennies. Hormis le scénario RCP 2.6, il est hautement improbable que la hausse des températures soit contenue dans le seuil des 2 °C, qui est l’objectif mondial réitéré lors des conférences successives des Nations Unies sur le climat. Les émissions totales cumulées ne devront pas dépasser une fourchette de 1000 à 1300 gigatonnes de carbone d’ici 2100 (environ). Or, en 2011, le total de ces émissions cumulées avait déjà atteint 531 gigatonnes. Notons que ces émissions ont augmenté de 3% en 2011 (34 Gt d’émissions cette année-là) et que cette augmentation s’accroît chaque année.
Des prévisions à court terme (décennales), couvrant la période 2012-2035 en se focalisant sur la prochaine décennie, constitue une autre nouveauté et un point fort de ce rapport.
Suite aux dernières recherches controversées sur l’effet refroidissant des aérosols sur le climat, notamment celui des aérosols formés à partir du soufre océanique, le forçage négatif des aérosols en provoquant le refroidissement du climat et en contrecarrant l’effet de réchauffement des gaz à effet de serre est revu à la baisse dans ce nouveau rapport (-0,9 watt par mètre carré contre 1,82 w/m2 pour le CO2, 0,97 w/m2 pour le CH4, 0,17 w/m2 pour le N2O et 0,18 w/m2 pour les CFCs). Nous avons le privilège d’avoir contribué aux études du forçage provoqué par les émissions des sources biogéniques (naturelles) à travers nos expéditions scientifiques dans l’Océan Atlantique Sud et dans l’Océan Indien et dans les Forêts Tropicales et Boréales. Le Prof. Yassaa est le premier au monde ayant découvert l’émission des monoterpènes (molécule de dix atomes de carbone) à partir des sources naturelles marines (voir Yassaa et al. Envrionmental Chemicatry, 2010). Le domaine de recherche sur les aérosols est en vogue et intéresse bon nombre d’institutions de recherche dont le CDER qui vient de mettre en place une première station de mesure des aérosols en Algérie. En revanche, ce rapport a revu à la hausse l’impact de la fonte dans les océans des calottes glacières du Groenland et de l’Antarctique sur l’élévation du niveau des mers. Grâce à de nouvelles modélisations et aux observations récentes, les scientifiques prévoient une augmentation moyenne de 26 cm à 98 cm d’ici à 2100 contre 18 cm à 59 cm dans le rapport 2007.
Le constat le plus inquiétant dans ce rapport concerne l’intensification des évènements climatiques extrêmes nomment, plus de sécheresse dans les régions sèches et des vagues de chaleur plus fréquentes, ce qui se traduit par des catastrophes plus répétées dans des pays vulnérables et moins dotés de moyens pour y faire face comme les pays africains. Il est à noter que le niveau de certitudes quant à l’augmentation des sécheresses lors des dernières décennies est plus faible que lors du 4ème rapport, à cause de la difficulté de comparaison des différents types de sécheresse et au manque de données dans certaines régions. Il y a moins de certitudes quant aux causes de l’intensification des cyclones tropicaux constatée depuis 1970, sauf en Atlantique où celle-ci est attribuée en grande partie à la variabilité interne du système, avec pour le futur la possibilité d’une plus grande variété dans leurs trajectoires et intensité. Les mesures des températures ont révélé que les dix années les plus chaudes depuis 1850 ont eu lieu depuis 1998. Les records ont été enregistrés en 2005 et en 2010. Cependant, la tendance haussière n’est pas claire depuis 1998. Même s’il n’y a pas encore d’explication consensuelle parmi la communauté scientifique, parmi les arguments avancés par les climatologues est que les océans absorbent actuellement une partie de l’énergie de la planète (la chaleur). Une autre explication est celle du cycle actuel de refroidissement de l’Océan Pacifique, qui contribuerait à réduire la hausse des températures atmosphériques.
Les impacts du changement climatique évoqués par le GIEC touchent entre autres la sécurité alimentaire qui se voit fortement menacée particulièrement dans les pays d’Afrique et d’Amérique du sud. Corollaire de cette insécurité alimentaire, le GIEC s’attend à une augmentation des problèmes de santé dans de nombreuses régions, spécialement les pays en développement (accroissement des vagues de chaleur intense, mauvaise nutrition ou encore maladies liées à la contamination de l’eau et de la nourriture). Le texte évoque, notamment pour l’Afrique, une modification de la géographie des maladies due aux changements du régime des pluies et des températures.
Des risques accrus d’extinction des espèces ont été reportés par le GEIC. Ils concernent une large partie des espèces terrestres et marines, dont de nombreuses "ne seront pas capables de se déplacer suffisamment rapidement pour trouver des climats plus adaptés" au cours des changements climatiques. Des écosystèmes marins cruciaux, comme ceux des pôles et les barrières de corail, sont déjà particulièrement exposés aux l’acidification des océans. Nous avons le privilège d’avoir contribué à ces études au travers notre participation aux expériences menées en Norvège en 2005 (PeECE III : Pelagic Ecosystem CO2 Enrichment Study) et en 2011 (SOPRAN, Surface Ocean Processes in the Anthropocene) (voir les publications auxquelles a participé le Prof. Yassaa). Une hausse de la mortalité des arbres pourrait survenir dans de nombreuses régions, alors que l’un des enjeux de la lutte contre le réchauffement passe par la reforestation.
Les experts du GIEC alertent sur l’accroissement de l’immigration et des déplacements des pollutions à cause de la pauvreté et de la raréfaction des ressources qui pourraient donner lieu à des rivalités entre les états.
En fin, les experts du GEIC avancent dans leur rapport que pour limiter d’ici la fin du siècle la concentration du dioxyde de carbone à 450 ppm (partie par million)-valeur associée par les scientifiques à un réchauffement de 2 °C -suppose de réduire les émissions mondiales entre 40 % et 70 % d’ici 2050 et de les ramener à un niveau proche de zéro d’ici à 2100. Des mesures d’atténuation devraient être scrupuleusement appliquées pour y parvenir. Le secteur le plus concerné par ces mesures c’est celui de l’énergie qui représente 35 % des émissions, devant l’agriculture et la forêt (24 %), l’industrie (21 %), les transports (14 %) et le bâtiment (6 %). La part des énergies propres (renouvelables, nucléaire) va devoir tripler voire quadrupler d’ici 2050, l’efficacité énergétique des bâtiments doit être améliorée, sans omettre le développement des techniques de captage et de stockage du CO2. L’instauration de normes d’émissions plus contraignantes, la mis en place de taxes fondées sur les émissions (taxe carbone) et de marchés du carbone, la réduction des subventions aux énergies fossiles sont d’autres leviers possibles selon le GEIC.
La dernière partie du groupe de travail (GTII) qui se focalise sur les mesures d’atténuation n’a pas satisfait une bonne communauté d’experts dans le domaine des changements climatiques. Le résumé à l’intention des décideurs de 33 pages constitue la contribution du groupe de travail III (GTIII) au RE5 du GEIC. Il affirme que les émissions de gaz à effet de serre dans le monde continuent à augmenter à un rythme accéléré. "Le GEIC conclut que d’urgentes actions sont nécessaires pour limiter la hausse de la température de la Planète à deux degrés Celsius et que les actions entreprises maintenant seront beaucoup moins coûteuses que si elles étaient ajournées à l’avenir", selon le communiqué de presse publié le 31 Mars 2014. Ce rapport met l’accent sur les options technologiques et économiques à même de garder les émissions des gaz à effets de serre à des niveaux acceptables. Le groupe des pays LMDC (Pays en développement à vue similaires) auquel fait partie l’Algérie "déplore la main-mise des scientifiques sur le processus, et l’instrumentalisation des données scientifiques en faveur de la position défendue par les pays développés qui consiste à impliquer les grands émetteurs parmi les pays en développement, sur une base juridiquement contraignante, pour la réalisation de l’objectif de limiter la température moyenne terrestre à 2°c".
Ce rapport, selon certains experts du LMDC, ne précise pas d’une manière explicite, comment les pays les moins avancés technologiquement comme les pays en développement doivent faire pour aller vers une transition énergétique propre sans compromettre leur droit au développement et à la croissance économique. Ils notent également que les technologies de captage et de stockage de carbone demeurent soient onéreuses ou non facilement maitrisés par les pays en développement. Pour soutenir les pays en développement, le financement, le transfert de technologie, le renforcement des capacités, l’échange de la science et d’expériences devaient paraitre avec force dans ce rapport. Les pays en développement font face à des nombreux défis qui exigent des actions immédiates ; la sécurité des biens et des personnes, la sécurité alimentaire, l’éradication de la pauvreté, la santé, le développement durable dans son sens large. Le changement climatique est un phénomène global. Prendre des mesures au niveau d’une région se répercute sur l’ensemble de la planète et à long terme.
Le groupe du LMDC, auquel fait partie l’Algérie, considère que l’élément de la responsabilité commune mais différentiée doit être le cœur de tout le processus. Le travail dans le cadre de la plateforme de Durban ne devrait pas traiter uniquement de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais tous les éléments de la décision 1CP17 (Protocole de Kyoto), qui doivent être abordés de manière équilibrée et intégrée, dont notamment l’adaptation aux changements climatiques qui demeure la préoccupation principale pour une grande partie des pays en développement, mais aussi des moyens de mise en œuvre (financement, transfert de technologies et le renforcement des capacités). S’agissant de l’atténuation, l’Algérie s’inscrit dans les principes de la Convention et de la responsabilité historique des pays développés qui doivent être les leaders en respectant leurs engagements sur la question de la réduction des émissions des GES. La contribution des pays en développement à l’effort international doit être déterminée au niveau national en tenant compte des circonstances et des capacités nationales en adéquation avec le prince des responsabilités communes mais différentiées.
Des critiques concernaient notamment les pays industrialisés, forts émetteurs des gaz à effet de serre, comme la Chine, les Etats Unis, les pays européens et l’Inde qui ensemble représentent plus de la moitié de l’émission mondiale du dioxyde de carbone. La transition vers des nouvelles technologies d’énergies et vers de nouveaux modèles économiques ne sont pas sans conséquences sur les pays en voie de développement. Ce rapport ne tient pas compte totalement des défis technologiques des nouvelles énergies qui nécessitent une maitrise et une technicité avancée qui n’est malheureusement pas à la portée des pays en voie de développement.
Ce rapport présente des détails sur l’augmentation annuelle des émissions du dioxyde partant de 27 gigatonnes (Gt) équivalent CO2 en 1970 à 49 Gt en 2010. Il est mentionné également que pour avoir 50% de chance à conserver l’augmentation de la température globale de la surface de la terre en dessous de 2°C, une émission additionnelle de 1550Gt des gaz à effet de serre doit être évitée avant 2100. A la vitesse actuelle, cette limite va être dépassée avant 2050.
Le rapport du GTIII du GEIC alerte que l’objectif d’émission fixé par les pays développés pour 2020 et approuvé lors du Sommet Climat de Cancun de 2010 n’est pas consistant avec un maintien d’augmentation de température à un seuil de 2°C. Atteindre cet objectif exige une réduction substantielle au-delà de 2020.
Le GEIC reconnait que l’industrie des énergies renouvelables fait des gains appréciables en performance et en réduction des coûts. Cependant, il note que la croissance démographique et de la demande mondiale en énergie et l’augmentation de la part du charbon dans le mix global de l’énergie fossile ces dernières années menacent de contrecarrer tout effort d’atténuation.
Le co-président du groupe atténuation du GEIC, Ottmar Edenhofer, a déclaré que "Indépendamment de la précision sur les objectifs d’émissions, nous devons commencer à mettre le train d’atténuation sur raie en augmentant fondamentalement l’énergie à faible émission de carbone dans le monde". L’énergie nucléaire et les technologies de géo-ingénierie respectueuses de l’environnement, telles que l’élimination et la capture de CO2 atmosphérique et le stockage des émissions de carbone doivent être considérés, ajoute-t-il.
Enfin, le GEIC, bien qu’il ne soit pas mandaté à prescrire des politiques, il a bien réussi à renforcer les liens entre la science et la politique. Les pays en développement doivent accorder toute l’importance à la science, pour que leurs scientifiques puissent être en mesure de contribuer à améliorer les connaissances, à combler les lacunes, à relever les défis, à répondre aux enjeux internationaux et à assister la politique de leurs pays, et ce pour un seul et ultime but, conserver l’intérêt actuel et futur de leur patries.
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